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Edito de Pierre Chastanier : Un nouveau rideau de fer ?


Le conflit entre l’Ukraine et la Russie au 150ème jour de guerre semble bien impossible à arrêter, personne ne voulant faire les premiers pas vers un cessez-le-feu.

Une évidence, tout d’abord : quelles que soient les erreurs de départ en 2014 du nouveau régime ukrainien après la « Révolution du Maïden » l’agresseur d’aujourd’hui est bien la Russie et le peuple Ukrainien souffre injustement de cette stupide confrontation où les responsabilités sont partagées entre le désir des Russes de ne pas voir l’OTAN s’établir à leurs frontières, l’incapacité de l’UE, qui s’est laissée aller à la facilité extrême d’une dépendance trop grande au gaz russe, d’engager un dialogue sur la sécurité en Europe qui ne peut en aucun cas se faire sans une participation de la Russie et la volonté des Américains au nom d’un monde unipolaire d‘affaiblir la Russie pour instaurer une Pax Americana mondiale au risque de conforter une alliance anti-occidentale où la Chine, l’Iran, l’Inde et l’Afrique pourraient se rejoindre.

Les pauvres déclarations du Président Zelensky « Nous irons jusqu’à la victoire complète » tiennent bien peu compte de la capacité des Russes d’utiliser s’il le fallait un jour des armes nucléaires tactiques et de la lassitude possible des Occidentaux, lorsque leurs propres économies seront trop affaiblies, qui refuseront de « mourir pour l’Ukraine »

Examinons la situation et ses évolutions possibles.

Scénario1 : La guerre s’enlise vers un gel durable des positions actuelles, les forces ukrainiennes résistent grâce aux armes fournies par l’Occident et tentent d’enfoncer le front russe. Celui-ci réagit en mobilisant de nouvelles troupes et en menaçant Kiev d’une réponse nucléaire tactique si les territoires russes devaient être touchés par des armes occidentales. Les Européens soutiennent certes l’Ukraine mais subissent des conséquences économiques qui au lieu de seulement ruiner l’économie russe, ruinent également les économies des pays de l’UE. L’hiver approche et la Russie menace de couper les exportations de gaz. L’Allemagne essaie désespérément de desserrer l’étau énergétique qui la contraint et même les Verts acceptent de renouer avec le nucléaire (mais il faudra du temps). En Novembre les élections américaines peuvent être défavorables à Joe Biden ce qui amènera une restriction de l’aide. Le blé aura peut-être pu momentanément sortir de la Mer Noire grâce aux accords passés sous l’égide de la Turquie mais cela ne ralentira pas les attaques contre Odessa.

La situation va s’éterniser comme cela a déjà été le cas au Vietnam ou en Afghanistan jusqu’à ce que l’opinion américaine se lasse à son tour et finisse par lâcher l’Ukraine face à son grand voisin.

Un rideau de fer s’abattra entre les deux pays laissant une Ukraine dévastée ayant perdu Crimée et Donbass qui devra seule tenter de se reconstruire.

Scénario 2 : L’Occident décide d’en finir avec Poutine et s’engage, quels que soient les sacrifices consentis, à faire cesser toute dépendance énergétique de l’Europe envers la Russie et tout commerce bilatéral avec celle-ci. Mais le repli de l’OTAN sur elle-même n’est envisageable que sous réserve d’un effort sans précédent des USA, premier producteur de pétrole et de gaz du monde mais aussi premier consommateur, pour réduire drastiquement leur propre consommation afin de se solidariser aux besoins de l’Europe et faire politiquement, voire militairement, pression sur les Etats du Golfe pour qu’ils augmentent leur production. Du coup la Russie se tournera définitivement vers la Chine, l’Iran, l’Inde et l’Afrique pour promouvoir, ce qu’elle fait déjà, une opposition frontale anti-occidentale. Les USA réagiront en sanctuarisant Taïwan et en se réindustrialisant pour desserrer leur dépendance industrielle envers l’Asie du Sud-Est. L’affaire ne pourra alors aboutir qu’à deux conséquences : soit une nouvelle organisation du monde entre deux blocs à jamais ennemis soit en cas de renversement de Poutine par une action conjuguée « ad hominem » de tous les « services » (CIA, Mossad, MI6, DGSE…) et un soutien victorieux aux opposants russes à une nouvelle distribution des cartes. 

Scénario 3 : Ni l’Europe ni l’Amérique ne veulent « mourir pour l’Ukraine » ou risquer le précipice d’une déflagration nucléaire qui emporterait la planète. Après avoir aidé celle-ci à stopper l’avancée russe, ils entament secrètement des négociations avec Poutine visant à arrêter le conflit sur les bases suivantes :
  • Cessation immédiate des hostilités du côté russe en échange d’un arrêt total du soutien financier et des livraisons d’armes à l’Ukraine
  • Reconnaissance de l’appartenance de la Crimée à la Fédération de Russie abolissant le « cadeau » de 1954 fait par Kroutschev à l’Ukraine alors membre de l’URSS
  • Organisation sous contrôle des Nations Unies d‘un Referendum d’autodétermination dans les Républiques séparatistes du Donbass avec 3 options : Retourner à l’Ukraine, Devenir indépendantes, Devenir Russes
  • Suppression des sanctions économiques contre la Russie en échange d’une participation financière majoritaire de celle-ci à la reconstruction des territoires ukrainiens détruits par elle. 
L’expérience de l’Afghanistan, de la Serbie, de la Libye, et de bien d’autres montrent que les émotions des opinions publiques occidentales sont souvent versatiles. La Russie annexe la Crimée, les USA reconnaissent le Kosovo ! On crie au scandale en Ukraine, on se moque de la persécution du Yémen par l’Arabie ou de l’écrasement des Thibétains ou des Ouïgours par la Chine ! Depuis 1947 la guerre oppose Israéliens et Palestiniens, le Liban vit sous la main de fer du Hezbollah, Boko Haram persécute le Nigéria, les Turcs massacrent les Kurdes, etc. etc. 

Et tous les jours des milliards qui pourraient sauver l’’humanité de la famine partent en fumée au profit des complexes militaro-industriels américains, russes, anglais, français, chinois

Il serait bon que chacun balaye un jour devant sa porte !

 

Pierre Chastanier