Les écarts de fortune entre les classes ouvrières et paysannes et la bourgeoisie conquérante qui au cours du XIXème siècle avait fini par rejoindre le camp « Républicain » ont toujours présenté une ampleur extrême créant entre les uns et les autres des écarts difficilement franchissables.
Les Maîtres de forge et les industriels du textile, grands gagnants de la révolution industrielle, étaient pourtant à la base d’un modèle paternaliste privilégiant une organisation intégrée « cristallisant » la hiérarchie sociale de l’entreprise.
C’est ainsi qu’un ensemble de « bonnes œuvres » destinées aux personnels (logements, écoles, églises, commerces, services de soins) stabilisait la société, avant les grandes avancées sociales d’après-guerre, comme une vaste famille autour des valeurs de la religion, du travail et de la famille.
On peut évidemment critiquer à maints égards ce modèle désuet où, chez Michelin par exemple, on offrait « du berceau au cercueil » un mode de vie inspiré du catholicisme social pendant que naissait l’opposition entre bourgeois favorables au libéralisme et prolétaires favorables au socialisme.
Mais les distinctions de classes ont largement disparu au profit des différences de revenus, de la position hiérarchique dans l’entreprise ou dans la société et plus secrètement des différences considérables de patrimoine.
Je l’ai déjà signalé à plusieurs reprises pour faire partie du 1% des Français les plus riches il faut disposer de plus de 1.5 million d’€ ou d’un revenu pour un couple avec 2 enfants de plus de 18.000 € par mois.
Certes le 1% des Français les plus riches (640.000 personnes) s’acquitte de 25% de l’impôt sur le revenu, mais est-on vraiment riche avec 1.5 million d’€ ?
Déjà vis-à-vis des 6400 personnes qui appartiennent au 1% du 1% des Français les plus riches (soit 0.01% de la population) les 633.600 « petits riches » font bien pâle figure.
L’écart qui sépare celui qui possède 1.5 millions d’€ de notre plus gros milliardaire (147 milliards d’€) est de 1 à 100.000.
Or ce rapport est le même que celui qui existe entre notre « prétendument riche » et celui qui possède 100.000 fois moins soit 15 € (le mendiant de la rue !)
Il se croit donc riche alors que pour notre champion (147 milliards) il n’est qu’un pauvre gueux !
Le problème en fait ne réside pas dans des écarts qu’on peut ou non estimer injustifiés mais dans le fait qu’à partir d’un certain niveau de fortune et grâce aux « optimisations fiscales » que leur font réaliser les avocats à leur service, les « ultra riches » contribuent beaucoup moins que la classe moyenne supérieure (dont bon nombre d’entre nous font partie) à l’effort de solidarité nationale et, bafouant l’Art 13 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, ils s’éloignent progressivement de l’Esprit Républicain qui depuis Jules Ferry avait imprégné la 3ème République.
- Liberté de l’hyper capitalisme par rapport aux masses populaires
- Inégalité flagrante y compris Inégalité des Chances
- Individualisme total au lieu d’une impossible Fraternité
Voilà le nouveau triptyque auquel 150 ans de République nous ont conduits !
Or, et cela est encore beaucoup plus grave, à partir d’un certain niveau de fortune, on peut acheter les consciences. Et même, pour certains, les Etats (les GAFA par exemple).
Pour celui qui possède des milliards, dire à un candidat à la présidentielle qui accepterait d’être à sa botte qu’il lui fournira la caution bancaire lui permettant d’emprunter auprès de n’importe quelle banque le montant qui lui sera remboursé par l’Etat s’il dépasse les 5% ce n’est pas prendre un bien grand risque et c’est préparer l’avenir !
L’argument de l’hyper capital pour interdire un véritable ISF (qui n’a jamais existé en France puisqu’avant qu’Emmanuel Macron le supprime au profit d’un tout petit IFI qui pénalise le pauvre cadre supérieur qui a eu l’opportunité il y a 30 ans d’acheter grâce à un prêt un 120 m2 à Paris) l’ISF de François Mitterrand offrait déjà des niches d’exonération fantastiques ( biens professionnels, tableaux de Maîtres, voitures de collection, bois et forêts, biens ruraux, capitalisation des retraites….).
Or l’Article 13 de la Déclaration mentionnée plus haut est bien clair : Chacun doit contribuer aux besoins de la Nation selon ses capacités !
Le rétablissement d’un véritable ISF sans aucune niche d’exonération, doit donc être rétabli pour se conformer à nos textes fondateurs et permettre ainsi à chacun de participer à l’indispensable solidarité républicaine selon ses facultés.
Soyons clairs ! Il n’est évidemment pas question de revenir aux propos irresponsables d’un Georges Marchais d’hier ou d’un Jean-Luc Mélenchon d’aujourd’hui et pour ma part, je ne cherche en aucune façon à faire la chasse aux riches.
Mais si l’ISF s’appliquait aux seules fortunes supérieures à 10 millions d’€ avec un taux progressif (1% au-dessus de 10 millions, 2% au-dessus de 20 millions et ainsi de suite jusqu’ à un plafond de 5%) notre champion national (147 milliards) aurait payé cette année à lui seul 7.3 milliards d’€ (5%). Il n’aurait donc vu sa fortune s’accroître seulement de 47-7.3 = 39,7 milliards d’€ …en 2020 !
Questions :
Les 35.000 personnes vraiment concernées (patrimoine supérieur à 10 millions d’€) et surtout les 6400 personnes du 0.01% des Français les plus riches (patrimoine supérieur à 30 millions d’€) quitteraient-elles la France ?
Sans doute pas car il suffirait à l’instar des Américains d’une loi interdisant l’abandon de la nationalité française pour les détenteurs de patrimoines supérieurs à 10 millions d’€) et en cas de départ à l’étranger le paiement en France du solde fiscal dû entre les impôts qui auraient dû être payés en France et les impôts effectivement payés à l’étranger pour faire cesser immédiatement l’intérêt d’un exil fiscal.
Combien rapporterait ce nouvel ISF par rapport à l’actuel IFI ?
L’IFI 2020 a rapporté 1.56 milliards d’€ (dont il faut déduire les frais de collecte). L’ISF au-dessus de 10 millions d’€ de patrimoine rapporterait chaque année 20.3 milliards d’€ soit 13 fois plus et n’inquiéterait que 35.000 personnes au lieu des 143.000 assujettis en 2020 à l’IFI
La théorie du ruissellement est-elle vérifiée ?
Une étude de la London School of Economy réalisée sur 18 pays de l’OCDE a clairement démontré que la théorie dite du ruissellement à l’origine des politiques « libérales » n’est en aucun cas vérifiée et accentue drastiquement les inégalités. C’est pourtant cette théorie qui avait poussé le Président Macron à supprimer l’ISF
Pour conclure notons que toute aggravation exagérée des inégalités quelles qu’en soient les causes (des politiques hyper libérales de délocalisation des multinationales aux enrichissements des trafiquants de tous genres) les écarts qui ne sont justifiés ni par les compétences ni par le mérite contribuent à détruire la solidarité nationale, base de la mystique républicaine d’un Charles Péguy ou d’une Simone Weil.
Pierre Chastanier