Grande Loge des Cultures et de la Spiritualité




 

Majnoun et Leila


Il y a bien longtemps, le beau Qaïs, fils d'une illustre famille de Bédouins, tombe éperdument amoureux de sa cousine Leïla. Le jeune homme  ne peut s'empêcher de chanter son amour à tous les vents. Il exprime sans retenue son souhait d'épouser la belle Leïla.

Mais chez les Bédouins, il est de tradition que ce soient les pères qui règlent les mariages. Le désir crié par Qaïs est une ombre sur leur autorité et ceux-ci refusent donc cette union.

Ses poèmes sont une arme contre le pouvoir. La famille de Leïla obtient alors du calife la permission de tuer l'arrogant amoureux.

Le calife fait venir Leïla pour voir une si grande beauté. Il découvre avec surprise qu'il s'agit d'une jeune femme plutôt maigre, au teint brûlé par le soleil.

Il décide alors de faire venir Qaïs et l'interroge : « Pourquoi aimes-tu cette femme qui n'a rien d'extraordinaire ? Elle est moins belle que la moins belle de mes femmes. »

Et Qaïs répond : « C'est parce que vous n'avez pas mes yeux. Je vois sa beauté et mon amour pour elle est infini. »

La famille de Qaïs demanda Leïla en mariage contre cinquante chamelles. Mais le père de Leïla refuse.

Qaïs perd la raison. Son père l'emmène à La Mecque pour qu'il retrouve ses esprits, mais le jeune homme entend une voix qui lui crie sans cesse le prénom de son amour. Son obsession est telle qu'on l'appelle alors le majnoun (le fou) de Leïla.

Un jour que Majnoun est tranquillement chez lui, rêvant à son amour, un ami vient le prévenir que Leïla est devant sa porte. Le poète fou répond : « Dis-lui de passer son chemin car Leïla m'empêcherait un instant de penser à l'amour de Leïla. »

Quelque temps plus tard, Leïla se maria et quitta la région. Majnoun partit vivre dans le désert avec les animaux sauvages. Certains prétendirent l'avoir vu manger de l'herbe avec les gazelles.

Un jour, on découvrit son corps inanimé, protégeant un ultime poème dédié à son amour...

Qays ibn al-Mulawwah n'a peut-être jamais existé. Au désert d'Arabie, dans la seconde moitié du VIIe siècle, circulent des poèmes chantant un amour parfait et impossible. 

La légende, elle, nous parle d'un jeune homme, Qays, de la tribu des Banû 'Amir, qui tombe amoureuse de sa cousine Laylâ. Tout devrait concourir à leur bonheur : ils n'ont aucune crainte quant à l'accord de leurs familles, portées, comme les autres, à ce type de mariage entre cousins. Mais voilà... Qays décide de chanter son amour à tous les vents. Ce faisant, il enfreint une règle majeure du code bédouin. Dès lors, tout s'enchaîne : le refus de la famille, le mariage forcé de Laylâ, son départ de la tribu,

Qays sombre dans la folie et va vivre avec les bêtes du désert, La légende crée un mythe : celui de l'amour parfait et impossible.…la folie de l'amour pour l'amour renvoie à la folie d'une culture où l'amour est codifié. Ce miyhe prélude évidemment aux mythes du moyen-âge où amour et folie permettent la contestation de l'ordre médiéval établi.

 Cette histoire a inspiré de nombreuses œuvres et notammenet  l'album 
Layla and Other Assorted Love Songs d'Eric ClaptonLouis Aragon y fait largement référence dans Le Fou d'Elsa.
 Voici une version libre d'une des poèmes de la tradition revu par Patrice de la Calle Luis Jover

 

Que peux-tu bien faire, grand fou, d’aimer si fort

Sur l'invite du ciel

Une femme improbable dans un improbable port ?

L’amour et le désir que j’ai toujours d’elle

S’accrochent dans mon ventre où l’illusion fait son nid.

Car Heureux l’homme, là-bas, qui partage ta vie !

Sait-il combien je l’envie !

Le sort aurait du chasser loin de lui la peine et la douleur

Mais c’est encore à un autre que tu lui fais don de ton infidélité divine.

Tandis que moi, à chaque fois que je te lis,

Devant tes mots toujours plus courts,

La peur première me revient comme une espérance inassouvie.

Je m’encourage à te fuir

Je me force à tromper mes désirs par d’autres illusions de peau d’olive

J’y parviens presque

Et puis dès que je loue ta liberté de femme

Le droit de tes amants

Comme celui de ton mari

Je ne peux m’empêcher de te chérir plus encore

Comme si l’horizon me rappelait sans cesse

Vers le tendre objet de mes désirs.

Je suis près à toutes les folies pour t’oublier

Mais j’en ai déjà tant faites

Qu’en fait seule ta présence pourrait taire ma soif.

Que tu m’interdises de te retrouver

Et je t’aime de plus en plus

Car comme tout homme

Je crois n’aimer rien de plus que le fruit qui se dérobe

Mais ce souvenir de la mâle attitude n’est que tromperie

Car rien n’y fait

Qu’on te porte Marie l’image de mon salut,

Que la Sainte Vierge nous prenne en sa garde

Il est grand temps car les diablotins du refoulement s’impatientent en chemin

Est-on bien vivant sur terre quand ce qui nous tente au paradis nous fait défaut 

Et que la patience, en un cœur certain de son inclination, ne dira bientôt plus que chagrin ?

 

de la Calle Luis Jover d'après le Fou de Layla

 

 En illustration Jean-Paul Bermondo et Anna Karina