Grande Loge des Cultures et de la Spiritualité




 

Féminin-Masculin -II


 Cet article est publié dans le cadre 
de la Lettre GLCS de juillet 2021 (#47)

Seconde partie
(première partie)
Rien sur le plan symbolique ne prédisposait donc les loges à écarter les femmes qui le furent par un consensus rétrograde sur ce point des parties et partis en présence qui s'opposaient sur le reste !
Il est triste de constater qu'à part quelques cas qu'on présente indument comme novateurs, à la suite de la proto-maçonnerie du moins celle présentée comme telle - c'est dire ! - rien n'aurait en effet empêché les hommes du siècle des Lumières de s'opposer au patriarcat maçonnique ou sociétal. Cette lumière là s'est éteinte. Quand des femmes de génie, à tout le moins de courage, comme la princesse de Lamballe ou Olympe de Gouge se signalèrent à l'attention du camp du progrès, certains maçons ne furent pas les derniers à porter les coups. Difficile de passer sous silence le massacre de Lamballe à la sortie de la prison de la Force.

C'est une leçon ! L'humanisme de façade ne nous épargne pas des traîtrises à notre idéal comme les chapiteaux de la chapelle Roslyn l'illustrent. 

Personne ne peut s'exonérer d'un profond travail sur soi.

Quant à Rosslyn, on y voit le maître assassiner le compagnon et non la belle fable inverse que nous a léguée le pasteur Anderson. Le mythe est d'ailleurs venu des temps anciens. A la suite plus ambiguë de l'assassinat d'Osiris par Seth et celui plus clair de Marih par les Jubelim, ce mythe est largement repris dans la parabole de Dédale.  Rappelons que c'est ce dernier, le "daidalos", l'architecte, l'ingénieux, le maître, qui assassine l'outillé, Telos, le compagnon et contremaître chargé de superviser la construction du Parthenon, le temple dédié à l'androgynat divin (parthénogenèse) en le précipitant du haut de l'Acropole. Par jalousie de ses inventions utiles à l'art royal, l'équerre, le compas, la scie et la hache. Le périple de Dédale marque le jalonnement de son lent rachat dont son fils n'écoutera pas la leçon. Il retournera mourir à la mer-mère pour avoir trop voulu se rapprocher d'u père-per, c'est--à-dire allégorigement du soleil.

Ainsi nous ne sommes pas exempts de cette prodigieuse inversion des mythes qui est la signature de ce que j'appelle l'oedipe spirituel. Le meurtre du père est souvent le masque de celui de la mère où plonge le fils aux chevilles enflées.

J'ai à nouveau entrevu cette faute originelle quand on m'a demandé si je pouvais intervenir ce soir au pied levé. Pensant refuser pour éviter toute enflure du pied justement, j'allais prendre le café avec une amie pour en discuter. Heureux hasard ou synchronicité, j'ai alors entendu une émission sur les tombes princières du néolithique en Europe et Méditerranée, avant la sédentarisation qui a accompagné la maîtrise des graines et des métaux.

A part quelques exceptions de princesses guerrières avérées - "exceptions", ceci vu de nos projections, fantasmes et archétypes contemporains - les archéologues considéraient jusqu'alors que les cueilleurs-chasseurs étaient des hommes en raison de leur taille, ossature, parements et armes de chasse.

Pour eux, l'homme chassait tandis que la femme callypyge hibernait dans la grotte où le néandertal leur a parfois fait des enfants, ce qui grâce à l'apport de leurs gènes nous a permis de résister aux rigueurs du quaternaire. De fait nous avons, tous ensemble, mais répartis ici et là en chacun d'entre nous, environ 50% de leurs gènes spécifiques.

Ainsi s'est perpétuée l'idée d'une supériorité physique pour tout ce qui se passe en dehors du foyer ; la séparation des taches entre genres s'est progressivement installée.

Sauf que... tout cela est faux !

L'analyse ADN sur toutes ces tombes montre que parmi les chasseurs, il y a exactement 50% de femmes et 50% d'hommes.

Avec l'holocène qui dans certaines régions du monde va conjuguer chaleur et déluges d'eau, la faune et la flore deviennent exubérantes. Plus besoin parcourir en couple 80 km, sans doute avec des enfants en moindre nombre, mais en meilleure santé, pour trouver sa pitance.

La maternité et le nouveau contexte de sédentarisation permet une différenciation sexuelle qui va d'ailleurs modifier la morphologie plus vite que les lois de Darwin ne semblent le suggérer. Les femmes feront plus d'enfants et surtout vont planter des graînes par agrément pour créer ces premiers jardins d'Eden, Le Jardin de la tentation du savoir et du savoir-faire, ce jardin si convoité par les tribus encore nomades.

A la fin de l'holocène, ces techniques culturelles seront opportunément mises à profit par les hommes pour produire des froments et farines et compenser le froid qui assèche et fait avancer les déserts sur les forêts et les savanes.

Jusqu'alors le ciel était féminin tel Aton chez les égyptiens, et la terre masculine tel Amon. Sous le nouvel Empire qu'inaugure la 18ème dynastie et les grands "rois"  dits improprement "pharaons", comme à Sumer ou Akkad, la lutte entre les dieux féminins du ciel (Aton, Enlil) et ceux masculins (Amon, Enki) fait rage au point que les sumérologues inversent souvent la réalité des genres dans les traductions et le commentaires des légendes. Puis le soleil qui renaît chaque matin l'emportant donc par nature, dès l'abdication d'Akhenaton les signes d'un renversement entre ciel et terre se multiplient. Akhenaton fait figure d'accoucheur d'une nouvelle vision. En fait il est plutôt le restaurateur de la tradition sur ce plan.

Aussi bien l'Akhenaton réel fait place à la nouvelle loi du non moins réel mais surtout mythique Moïse, que raconte autrement l'Oedipe de Sophocle. Les religions du Livre prendront acte de ce renversement total. Ainsi le Un perd la moitié de son sexe pour un dieu-le-père qui vit au ciel tandis que se formattent de nouveaux archétypes. Ils sont comme un voile précisément oedipien sur nos origines symboliques et les attributs genrés de la scène primitive. C'est bien la mère qui est "sacrifiée" (voilée, violée ?) dans cette nouvelle trinité, n'en déplaise à Freud.

Il n'est de jour où l'archéologie moderne ne découvre des résurgences de la mixité opérative ou guerrière.

Ainsi :
- l'un des plus grands guerriers wikings était une femme, ce qui invite les archéologues à reconsidérer leur interprétation de l'histoire du peuple scandinave ;
- la découverte d'une guerrière scythe de 13 ans conforte les nouveaux indices de l'existence des amazones.

En remontant l'estuaire du Rio Santa Maria de la mar dulce, Francisco de Orellana vit ses vaisseaux assaillis par des pirogues armées de mult arcs et flèches. Les tireurs portaient visages blancs. Visages fardés ? Le capitaine rebaptisa le fleuve Amazone par référence à l'histoire antique. Or les tireurs étaient des femmes. Un chercheur allemand pense d'ailleurs qu'elles descendaient de réfugiées de Carthage venues à la suite du massacre et de la conquête romaine et sont constitutives d'une caste, préservée depuis de génération en génération. Elles n'étaient fardées ; ou elle l'étaient pour masquer leurs différences venues avec les années et souligner le trait l'image que ces amérindiens avaient de leur tradition.

Les données concernant les rapports entre les sexes ont longtemps été lacunaires. Ou même erronées de sorte que nous avons projeté sur le passé les archétypes que les siècles  bibbliques et post bibliques ont construits.

Durant cette période à ciel renversé, l'apparition à haut niveau d'une femme dans un rôle attribué aux hommes s'est le plus souvent effectuée soit dans la contestation du sexe ou du genre, soit dans une lutte violente et le refus de son "vrai" sexe.

Ne revenons pas sur Jeanne d'Arc qui repose à Cléry dans la sépulture de son demi-frère. Il me vient plutôt l'histoire de la Kahina ou Dihya. Devenue reine, lors de la conquête musulmane du Maghreb (703), elle rassemble les peuples berbères. Sa personnalité a tellement surpris les historiens, y compris modernes, que certains ont supposé qu'elle était un homme, "Patrice Jean, général byzantin" par exemple. Certains historiens arabes l'ont déguisée en homme car elle serait un eunuque. Sauf que sans conteste elle a eu  trois enfants.

Sans s'attarder trop sur le sort atroce qui fut réservée à notre soeur qui avait pu faire rattacher la première obédience féminine de langue française à la Grande Loge d'Ecosse, la devenue duchesse de Lamballe, rappelons que certains  l'attendaient en toute fraternité lorsqu'elle fut "libérée" dans la cour de la prison de la Force.

Dès l'antiquité, certains auteurs ont bien entrevu ce renversement du ciel, ce que j'évoque sous le terme d'oedipe spirituel.  A une époque où la femme n'avait plus en Grèce ni droit de propriété, ni participation à l'administration de la cité et se faisait représenter par un maître*, Euripide né en 480 avant JC, a exploré les limites du patriarcat de l'Etat avec une telle intelligence que beaucoup le considèrent comme le 1er féministe.

Dans cette opposition symbolique du féminin et du masculin, dans cet au-delà de la mixité, il ne s'agit pas "ici" de prendre part au débat sur le sexe et le genre, mais de considérer chacun à sa porte que le principe de mixité dépasse de loin la réponse à l'injonction d'égalité de la société actuelle.

Un jour peut-être toutes les obédiences seront mixtes car elles devront en effet satisfaire l'exigence sociale d'égalité. Y compris la Grande Loge Unie d'Angleterre. Au-delà nous aspirons à une mixité non contrainte par les temps. A une mixité spirituelle où ciel comme terre se conjuguent selon les aspirations des deux genres.

Comme tout ce qui est d'ordre initiatique, il est difficile de le dire avec les mots. Il s'agit plutôt de l'assumer et de le vivre dans l'alliance des coeurs.

Loin de toute injonction, la mixité en spiritualité, plus exigeante, nous réconcilie avec les lointains passés dont nous avons hérité et dont nous devons prendre le plus grand soin. Telle semble être également une des conditions pour endiguer la violence culturelle et sociale née de l'oubli de la mémoire des siècles.

Patrice Hernu
Note : Il y a bien de grandes femmes dans l'histoire. Mais à propos de féminin et masculin, il en est une particulière puisqu'elle a découvert ce qui semble générer la différenciation. Pourquoi naît- on avec un pénis apparent ? Pourquoi naît-on avec un vagin ? Nettie Stevens a découvert les chromosomes X et Y et cette part de la détermination génétique du sexe des individus. Ce n’est pas rien et pourtant Nettie Stevens, comme de nombreuses femmes scientifiques n’a jamais été reconnue. On l'a mise en besace : http://www.racontemoilhistoire.com/2017/01/nettie-stevens/

* Un auditeur me fit la remarque que ce n'était plus le cas sous Rome où les femmes pouvaient  avoir droit de propriété, pouvait divorcer, hériter, etc.