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Edito de Pierre Chastanier : Emmanuel Macron en Algérie 29/8/2022
   

Emmanuel Macron en Algérie   

Les fantômes du passé encombrent longtemps les mémoires. Nous autres, Français après avoir connu l’humiliation du 1er septembre 1870 à Sedan puis les deux guerres mondiales de 1914-1918 et de 1939-1945 qui nous opposèrent si violemment à l’Allemagne, pouvons concevoir plus que d’autres le ressentiment du peuple algérien contre l’ancienne puissance coloniale même s’il n’était guère utile que le Chef de l’Etat eut provoqué de vifs remous à l’automne 2021 en reprochant au  « système politico-militaire» algérien de fonder sa légitimité sur une «rente mémorielle» et de cultiver une certaine « haine de la France ». 

Emmanuel Macron après avoir exprimé ses « regrets » pour « les polémiques et les malentendus » nés de ses propos, affiche maintenant lors de sa visite officielle son objectif de « refonder » la relation bilatérale entre Paris et Alger en s’adressant directement à la jeunesse algérienne et fait le choix d’orienter cette visite vers l’avenir afin de « poser un socle pour développer une relation au bénéfice des populations des deux pays ».

C’est évidemment une bonne chose même si on est loin de l’atmosphère qui régna le 14 septembre 1958 lors de l’incroyable rencontre à La Boisserie entre le Général De Gaulle qui n’était alors que Président du Conseil et le Chancelier Adenauer ce qui lui fit écrire dans ses Mémoires « Il me semble, en effet, qu’il convient de donner à la rencontre une marque exceptionnelle et que, pour l’explication historique que vont avoir entre eux, au nom de leurs deux peuples, ce vieux Français et ce très vieil Allemand, le cadre d’une maison familiale a plus de signification que n’en aurait eu le décor d’un palais »

On est loin aussi du geste parmi les plus symboliques de la réconciliation franco-allemande que furent ces mains enlacées, le 22 septembre 1984, devant un catafalque placé à l'entrée de l'ossuaire de Douaumont, entre François Mitterrand et Helmut Kohl.

Côté algérien, la venue de M. Macron a été saluée comme marquant la volonté « d'impulser une vision nouvelle basée sur un traitement d'égal à égal et l'équilibre des intérêts ».

Faut-il rappeler, alors que le 14 février 2017, lors de sa première campagne présidentielle il avait qualifié à Alger la colonisation de « crime contre l'humanité… », que ses propos ont rapidement tourné court, rattrapés par des mémoires qui restent difficilement conciliables après 132 ans de colonisation, une guerre sanglante pour les deux camps, le départ vers la France d'un million de pieds-noirs réfugiés et leur accueil à Marseille dans des conditions lamentables. On se rappelle aussi le terrible slogan de l’OAS et des « Généraux félons » auteurs du putsch raté du 22 avril 19621 « La valise ou le cercueil »

Face à l'Algérie, premier producteur de gaz en Afrique et l'un des dix premiers au monde, la guerre d’Ukraine quoi qu’en dise le Président Macron, même si selon lui elle n’est « vraiment pas l'objet de la visite » a peut-être hâté la rencontre au cours de laquelle d’autres sujets, la situation au Mali, l'influence russe grandissante en Afrique, le rôle central de l’Algérie dans la région ont fait l’objet d’échanges entre les deux Présidents

Il est donc grand temps de remettre sur les rails le partenariat entre les deux pays en commençant par la question délicate des visas attribués par la France aux Algériens qu’Emmanuel Macron a décidé en 2021 de diviser par deux face à la réticence d'Alger à délivrer des « laissez passer consulaires » pour ses ressortissants clandestins ou auteurs de crimes et délits sur le territoire français.

Le courant passe bien entre les deux hommes qui souhaitent « un nouveau mode de coopération » entre France et Algérie, basé sur « l'investissement et la coproduction » pour « un partenariat gagnant-gagnant ».

On verra si de part et d’autre on passe des paroles aux actes !

Quelques pistes pratiques :

Rebâtir, sur les fondations solides d’un rapport d’une Commission mixte d’historiens ayant accès librement aux archives des deux pays, une mémoire de vérité où chacun pourra reconnaître ses torts et ses mérites

Se souvenir que nous partageons une culture commune et une langue dont l’enseignement doit être favorisé qui jouera demain un rôle majeur dans l’évolution du continent africain en pleine explosion démographique

Favoriser l’échange entre les deux pays en ouvrant largement la distribution de visas pour les visites familiales de part et d’autre, pour les stages de formation, pour les échanges économiques même si l’attribution de visas de travail et de visas de regroupement familial reste sujette à examen compte tenu des possibilités limitées de bonne assimilation.

Accueillir en revanche les étudiants algériens beaucoup plus facilement en contrepartie d’un engagement à retourner au pays à la fin du cycle de formation

Créer les conditions sociales, fiscales et environnementales d’incitation aux entreprises françaises de s’installer en Algérie plutôt qu’en Asie du Sud-Est

Symboliquement placer la France et l’Algérie sur le même fuseau horaire

Signer un accord solennel de délivrance de laissez-passer consulaires pour tous les clandestins condamnés à quitter le territoire Français.

Proposer au gouvernement algérien de récupérer dans ses prisons ses ressortissants condamnés en France contre le paiement des mêmes indemnités journalières affectées à leur entretien et leur gardiennage que dans les prisons françaises.

Faciliter le retour et l’installation en Algérie des pieds-noirs qui le désireraient par l’attribution en contrepartie partielle des biens perdus d’une aide financée conjointement par les deux pays.

Réaffirmer le jus soli français faisant de tout enfant né en France à sa majorité un citoyen français s’il le désire et s’il n’a pas commis de délit mais demander à chaque binational de choisir une nationalité prioritaire s’il veut exercer des responsabilités politiques dans le pays de son cœur tout en restant un citoyen des deux rives.  

Lancer un programme commun ambitieux de lutte contre les mouvements migratoires non désirés et notamment de lutte contre les passeurs

Promouvoir un plan majeur financièrement aidé par la France de développement des ressources naturelles de l’Algérie (prospection de nouveaux gisements de pétrole et de gaz, meilleure exploitation des minerais, utilisation massive des énergies renouvelables notamment photovoltaïques, développement de l’agriculture pour rendre à nouveau le pays exportateur de blé, création de centres industriels en zone libres près des ports pouvant accueillir des investisseurs du monde entier…)

Si la France avait été moins aveugle elle n’aurait pas laissé une infime minorité de colons réserver en 1870 le décret Crémieux aux seuls Israélites, imposer le double Collège, ordonner la répression de Sétif en 1945, laisser sans aide les tenants d’une autonomie gardant ses liens avec la France. On se rappelle la phrase de Ferhat Abbas : « On a modernisé l’Algérie. On n’a omis qu’une chose essentielle, moderniser ses habitants et on est arrivé à un anachronisme frappant : sur une terre devenue européenne vivent six millions d’orientaux »

Ils sont 50 millions aujourd’hui dont 7 millions vivent en France !

Pierre Chastanier